"Vive Mexico" et Concordia

Bonjour à tous !


Cela faisait longtemps que l'idée me trottait dans la tête. Jusqu'à présent je
n'avais su faire que du tourisme. Avec l'envie de bien faire, certainement :
ne rien dénaturer, ouvrir grand les yeux, respecter "l'autochtone"... j'étais
une touriste appliquée, comme nous le sommes tous de plus en plus. Mais la
rencontre, le vrai choc des esprits, est-il possible dans ces conditions ?

Nous voyageons avec l'Occident dans nos bagages. Nous avons la tête pleine d'attentes qui ne doivent pas être déçues. Notre temps libre est précieux, capitalisons-le ! Voilà le paradoxe du touriste occidental : il veut découvrir un ailleurs authentique, mais il impose inconsciemment le rythme par lequel cet "ailleurs" doit se dévoiler, c'est-à dire en un instant, car l'heure tourne, il y a tant de choses encore à voir, et puis bientôt la vie quotidienne le happera de nouveau alors, pressons...

S'il est nécessaire pour découvrir un pays de s'ouvrir au rapport intime que
son peuple entretient avec le temps, on ne se debarrasse pas de sa propre
conception temporelle comme d'un costard-cravate. Surtout quand l'argent s'en mêle : celui qui vide sa bourse est en droit de recevoir quelque chose en retour ; mais ce que nous cherchons à obtenir, l'humain et le temps, n'est pas une marchandise, et les rapports à l'autre s'en trouvent complexifiés. Si la
rencontre, parfois, survient, elle n'est que l'interruption momentanée d'un système dont nous sommes
prisonniers.

Voilà pourquoi j'ai fait appel à l'association Concordia,
qui organise des chantiers pour bénévoles dans le monde entier. Avec
Vive
Mexico
, son partenaire au Mexique, je vais travailler avec le centre pour la
jeunesse de Morelia
, dans le Michoacan. Ma seule attente ? Etre dépaysée...



samedi 8 septembre 2007

Destination Oaxaca, la ville : le voyage.

Nous nous retrouvâmes donc de nouveau à Pochutla, sur l'artère principale, dans l'espoir de trouver un bus qui nous mènerait vers l'étape suivante de notre voyage : la célèbre ville de Oaxaca. De Pochutla, deux routes mènent à la capitale de l'Etat : l'une, plus courte, file presque tout droit vers la ville, en empruntant les chemins tortueux et mal entretenus des montagnes environnantes, et cela prend 6 ou 7 h ; l'autre, en meilleur état, fait un immense détour par l'isthme de Tehuantepec, et prend 2 heures de plus. Il était 14h, et ne sachant pas où nous passerions la nuit a Oaxaca, nous décidâmes donc d'opter pour le chemin le plus court, afin de ne pas arriver trop tard dans la nuit. Jusqu'ici, l'unique concession au tourisme de luxe que nous avions faite avait été le voyage en bus 1e classe, et cela, soit parce que nous n'avions pas eu le choix (seule la compagnie ADO reliait Palenque à San Cristobal), soit parce que, voyageant de nuit, il nous fallait dormir dans le bus pour avoir l'énergie de découvrir le pays dès notre arrivée. Mais notre esprit aventurier avait été stimulé par ces 2 nuits passées à Zipolite dans des cabanes en bois, ces douches d'eau froide que l'on actionne en tirant sur une corde et ces piqûres d'insectes et autres morsures de puces. Nous étions d'accord : pour 6 ou 7 h de route, le voyage en 2e classe serait parfait. Nous pénétrions dans l'antre de la compagnie EV/OP quand un homme vint nous parler : "Vous cherchez un bus ? Où voulez-vous aller ?" Comme je lui donnai ma réponse, il m'assura qu'un bus partait pour Oaxaca dans 20 minutes, et il nous invita à prendre place pour patienter. C'était une large cour dans laquelle deux bus étaient garés. Au fond de la cour, un beau bus fringant portant fièrement le nom de Oaxaca en couvre-chef, et devant nous, un vieux tas de tôle, avec des noms de villages aux consonnances indigènes collés sur la vitre. La cour était bordée d'un préau sous lequel on trouvait un comptoir où un homme dormait, et 2 rangées de chaises devant une petite télévision. Nous nous installâmes donc sur deux de ses chaises. La télévision passait un documentaire sur Fidel Castro, vaguement élégiaque. Quelques hommes agés tournaient vers le poste un regard vide. Nous étions les seuls touristes ici ; je me sentais bien. Au documentaire, succéda une publicité très rebarbative prônant les qualités révolutionnaires du calcium de corail : calcio de Corail, de Okinawa, Japon, gratis ! Olivier rigolait, un peu nerveusement. Il se demandait quel bus allait nous servir de moyen de transport. Je lui assurai que c'était celui du fond, puisque notre destination y était inscrite. C'est alors que l'homme de tout à l'heure, un mexicain au marcel bedonnant, monta dans l'autre bus (le vieux tas de tôle), mis le contact et recula. Et nous découvrîmes, tout en haut, le nom de Oaxaca, jusqu'ici dissimulé par le rebord du préau. A bien y réfléchir, c'était du plus bel effet comique. Il aurait fallu voir nos têtes à cet instant. Surpris, et légèrement apeurés à l'idée de faire 7h de route dans un bus que nous pensions mûr pour la casse, nous nous demandions que faire, tandis que notre brave chauffeur criait "Oaxaca" en nous invitant à monter. Cela faisait une demie heure que nous attendions le moment du départ, et nous décidâmes donc de monter. Au moment de payer nos billets, je réalisai que le prix que l'on me demandait correspondait au tarif de 3e classe.


"Plus tard, on en rigolera." Cette phrase fut le leitmotiv de tous les instants de franche galère que nous vécûmes au Mexique (il n'en n'eut pas tant que ça). Pour moi, il n'y a pas de réelle expérience sans imprévu. Et rester ouvert à l'imprévu, c'est laisser le terrain libre à la galère. J'y étais préparée, prête à l'accepter, et Olivier était prêt à me suivre. Nous rigolâmes donc, d'un rire teinté de jaune, en entendant le grincement de l'animal quand il entrepenait un virage, son vombrissement quand il se risquait à une accélération, et surtout les gesticulations crissantes du levier de vitesse peinant à garder sa position... Mais le chauffeur était vaillant, domptant le levier, agrippant le volant de toutes ses forces, et sa femme, assise à ses côtés sur un petit tabouret matelassé juste en face de la porte grande ouverte de l'autobus, ne semblait pas un poil inquiète. Un virage un peu sec, le tabouret glissant sur le sol humide et elle passait par dessus bord... Mais Jesus-Christ veillait sur sa croix, accroché au dessus du poste de conduite. Ces gens n'étaient pas inconscients, je crois qu'ils étaient mus par une foi fervente doublée d'un certain fatalisme. Si un drame arrive, c'est qu'il doit arriver, voilà leur philosophie. Ils ne passent pas leur vie à imaginer des scénarios catastrophes comme nous le faisons tous la plupart du temps. Ils accueillent la vie avec confiance et le malheur avec résignation. Nous vécûmes donc quelques heures au rythme de ces gens, blottis dans leur bus comme nous le serions dans leur coeur. Une pluie battante s'acharna bientôt sur nous, et un T-shirt recouvrit le marcel. Nous étions perdus dans la montagne, entourés de forêt. Parfois nous dépassions quelques groupements de maisons formant village, ou quelques stands de tacos sur le bord de la route. Des indiens tirant des ânes. Le chauffeur s'arrêtait de temps en temps pour prendre un passager marchant seul sur une route venant de nulle part et menant je-ne-sais-où. Nous accueillâmes à cette occasion le plus beau bébé du monde, qu'une indienne portait sur son dos, emmitouflé dans ces tissus colorés que l'on voit dans les marchés artisanaux. Il portait un bonnet à pompon, et posait sur le monde d'immenses yeux noirs hallucinés, curieux et suppliants. Il me regarda quelques instants, je souris à la mère qui me répondit avec son visage de douceur. A mon grand regret, mes deux amis silencieux descendirent très vite du bus. Plus tard, nous dépassâmes deux voitures embourbées. Notre chauffeur s'arrêta, discuta par la porte ouverte avec l'homme à la voiture bloquée (c'était pourtant un gros 4X4 américain en bien meilleur état que notre boîte de conserve !). Ils cherchaient ensemble une solution. L'homme au 4x4 proposait que notre bus pousse sa voiture, pare-choc contre pare-choc, mais notre chauffeur était sceptique (je suis plutôt de son avis : notre bus n'aurait pas survécu à une telle pression). Il abandonna le 4x4, puis fut pris de regret et entreprit une marche arrière pour le rejoindre. Une nouvelle discussion commença. "Et si nous descendions tous du bus pour l'aider à pousser sa voiture ?", proposa timidement la femme au tabouret. Mais le chauffeur refusa (peut-être songeait-il à ces 2 européens faisant partie de l'équipée...). Longtemps après, sur la route, mari et femme discutèrent de ce qu'ils auraient pu entreprendre pour aider l'homme embourbé. Les mexicains ont un fort esprit d'entraide, et ils devaient se sentir fautifs de n'avoir rien pu faire.

Et c'est ainsi, simplement, que se passèrent les 7 heures de bus. Il y eut quelques pauses - un arrêt sur le bord de la route pour se ravitaller et se réchauffer autour d'une tasse de café ; deux arrêts dans des gares où des passagers nous abandonnèrent et d'autres nous rejoignirent. Nous fûmes les seuls, à l'exception évidente du conducteur et de son épouse, à suivre le trajet de Pochutla jusqu'à Oaxaca. Ce ne devait pas être courant que les gens fassent un si long périple dans ces conditions. Le pire, c'est que nous avons même réussi à y dormir ! Nous débarquâmes donc à la gare 2e classe de Oaxaca, à 21h30, trouvâmes un chauffeur de taxi radio-guidé qui nous mena à notre auberge. Là-bas, je retrouvai par hasard Anne, la volontaire belge que j'avais laissé à Uruapan (enfin, pas tout à fait par hasard : nous avons le même guide). Nous prîmes enfin un vrai repas, sur le Zocalo de Oaxaca, au son de la salsa, des mariachis, et de la flûte de pan : culture latine, vieille tradition mexicaine et tradition indienne, trois strates de la culture musicale mexicaine se succedèrent à nos oreilles comme à ma bouche les strates gastronomiques de mon sincronizada, sorte de sandwich multi-couche de tortillas au guacamole, au queso, et à la purée de frijoles. La richesse d'une culture ne se perçoit pas dans la synthèse, mais dans l'accumulation. Ne pas craindre la cacophonie est le plus sûr moyen d'accéder à l'harmonie. L'identité. Ce fut le leçon que je reçus d'un sandwich. Pour sûr, nous avions ajouté ce jour-là une strate importante à notre connaissance de la culture mexicaine.

1 commentaire:

Clawer a dit…

Sympa la tournure que prend le carnet de voyage une fois les commodités européennes retrouvées !
Ca donne envie d'y partir !
Bonne continuation...