vendredi 28 septembre 2007
Portraits et anecdotes, II : Oaxaca, l'histoire d'une "Commune"
Oaxaca. Peut-être la plus belle rencontre et la plus grande frustration. Vous savez, lorsque l'on croise un être que l'on sent secrètement proche de soi, mais qui s'éloigne. J'ai mis longtemps avant de me résoudre à mettre sur la page ce nouvel épisode. J'avais peur de mentir, à moi plus qu'à vous.
Oaxaca est une ville politiquement troublée, et c'est ce qui m'a séduit. Oaxaca descend dans la rue pour pleurer l'injustice, la corruption, les morts irrésolues. Oaxaca crie sur les murs sa douleur. Ce sont les employés d'un hôtel qui se mettent en grève pour soutenir une collègue injustement renvoyée. C'est une vieille femme qui vend des tortillas sous une banderolle. C'est un artiste qui expose des silhouettes en carton percées de trous de balle.
L'année dernière, les professeurs se sont mis en grève, car ils dénonçaient leurs conditions de travail, et la pauvreté des indigènes qui ne bénéficient pas des richesses de leur terre. Une grande partie de la population les a soutenus. La révolte s'est amplifiée : on dénonce la corruption du gouverneur, le tourisme que l'on développe aux dépens de l'autochtone, les inégalités, etc. Il y eut une grande grève générale, un palais du gouverneur brûlé, une repression violente, des morts et des disparus... Et sur les murs de la ville, les cris du peuple sont effacés : un bout d'affiche ici résiste encore, et ailleurs la fin d'une phrase dévorée par le noir censeur d'un coup de pinceau. Certains slogans subsistent : "David Venegas no es nuestro lider, es nuestro hermano" ( D.V. n'est pas notre leader, il est notre frère). David Venegas est un étudiant contestataire que l'on a battu et emprisonné sous de faux prétextes.Les grandes manifestations, les actions violentes, c'était l'année dernière, mais rien n'est résolu depuis. Les élections du nouveau gouverneur arrivent, alors, on espère.
Si j'avais peur de parler de Oaxaca, c'était par crainte de ma subjectivité. J'avais peur que mon regard brillant d'admiration offre la vision biaisée d'une situation complexe dont, finalement, je ne connais pas grand chose. Je regarde le monde d'un point de vue esthétique, et c'est le pire des regards lorsque l'on parle de politique. Stendhal a cru en Napoléon comme il aurait cru en un héros de roman. Sa morale politique se réduisait à son sens esthétique...mais quelle excuse peut-on donner à l'esthétisme quand il justifie la barbarie ? Peut-on admirer un homme (ou un mouvement populaire) pour sa rhétorique, tout en le condamnant pour ses actions ?
Il flottait dans l'air de Oaxaca une électricité joyeuse et galvanisante. Sur le Zocalo, on montait une estrade pour un show politique, sous les yeux des policiers armés. Les gens parlent, sourient, ils sont sont vie et on le sent. Rien n'a su taire leur révolte. Ils ne connaissant pas la désillusion.
Ils étaient beaux, mais j'avais le devoir de me documenter, pour savoir, au-delà de l'esthétisme. Alors, une fois de retour en France, j'ai cherché. On ne parle pas beaucoup de la "Commune de Oaxaca" dans les medias européens. Je tombai sur quelques articles, et sur une video. Des images bouleversantes. Une femme brandit une fleur blanche face aux policiers. Un slogan que l'on scande : "El pueblo, unido, jamas sera vencido". Face aux policiers, pas d'insultes, mais des tentatives pour les convaincre :"Vous aussi vous faites partie du peuple ! Vous aussi vous êtes pauvres !". Un homme lève un livre au dessus de la tête, comme d'autres lèveraient le poing : "Je suis un instituteur, les livres sont ma seule arme"...
Et je pense à Rome, ville ouverte, de Rossellini, parce qu'il est un des rares films dont l'esthétisme épouse jusqu'à la confusion la dimension politique. Quand Pina s'échappe de la foule pour suivre la camionette où les soldats emmènent Francesco, puis s'effondre sous les balles... il y a ici un réquisitoire contre la barbarie, le premier manifeste du néoréalisme, et une scène à la beauté abstraite. Quand les lignes du corps d'un être, le tracé de son mouvement deviennent sens et art. Cette course insensée de Pina vers la mort, le tracé de son corps qui s'arrache à l'impersonnalité de la foule, se lance dans l'espace avec foi et amour, et choit, désarticulé, en un tressautement de mort, cette courbe a la force abstraite d'une ligne de Kandinsky brisant l'harmonie colorée. Voilà ce que j'ai ressenti à Oaxaca : la beauté et la légitimité d'une indignation.
La dignité de ce peuple me fait penser, à l'instant où j'écris, à la révolte du peuple de Birmanie...
Pour ceux qui veulent s'informer sur l'histoire de la Commune de Oaxaca :
http://www.monde-diplomatique.fr/2006/11/VIGNA/14119
http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volte_d%27Oaxaca
Oaxaca est une ville politiquement troublée, et c'est ce qui m'a séduit. Oaxaca descend dans la rue pour pleurer l'injustice, la corruption, les morts irrésolues. Oaxaca crie sur les murs sa douleur. Ce sont les employés d'un hôtel qui se mettent en grève pour soutenir une collègue injustement renvoyée. C'est une vieille femme qui vend des tortillas sous une banderolle. C'est un artiste qui expose des silhouettes en carton percées de trous de balle.
L'année dernière, les professeurs se sont mis en grève, car ils dénonçaient leurs conditions de travail, et la pauvreté des indigènes qui ne bénéficient pas des richesses de leur terre. Une grande partie de la population les a soutenus. La révolte s'est amplifiée : on dénonce la corruption du gouverneur, le tourisme que l'on développe aux dépens de l'autochtone, les inégalités, etc. Il y eut une grande grève générale, un palais du gouverneur brûlé, une repression violente, des morts et des disparus... Et sur les murs de la ville, les cris du peuple sont effacés : un bout d'affiche ici résiste encore, et ailleurs la fin d'une phrase dévorée par le noir censeur d'un coup de pinceau. Certains slogans subsistent : "David Venegas no es nuestro lider, es nuestro hermano" ( D.V. n'est pas notre leader, il est notre frère). David Venegas est un étudiant contestataire que l'on a battu et emprisonné sous de faux prétextes.Les grandes manifestations, les actions violentes, c'était l'année dernière, mais rien n'est résolu depuis. Les élections du nouveau gouverneur arrivent, alors, on espère.
Si j'avais peur de parler de Oaxaca, c'était par crainte de ma subjectivité. J'avais peur que mon regard brillant d'admiration offre la vision biaisée d'une situation complexe dont, finalement, je ne connais pas grand chose. Je regarde le monde d'un point de vue esthétique, et c'est le pire des regards lorsque l'on parle de politique. Stendhal a cru en Napoléon comme il aurait cru en un héros de roman. Sa morale politique se réduisait à son sens esthétique...mais quelle excuse peut-on donner à l'esthétisme quand il justifie la barbarie ? Peut-on admirer un homme (ou un mouvement populaire) pour sa rhétorique, tout en le condamnant pour ses actions ?
Il flottait dans l'air de Oaxaca une électricité joyeuse et galvanisante. Sur le Zocalo, on montait une estrade pour un show politique, sous les yeux des policiers armés. Les gens parlent, sourient, ils sont sont vie et on le sent. Rien n'a su taire leur révolte. Ils ne connaissant pas la désillusion.
Ils étaient beaux, mais j'avais le devoir de me documenter, pour savoir, au-delà de l'esthétisme. Alors, une fois de retour en France, j'ai cherché. On ne parle pas beaucoup de la "Commune de Oaxaca" dans les medias européens. Je tombai sur quelques articles, et sur une video. Des images bouleversantes. Une femme brandit une fleur blanche face aux policiers. Un slogan que l'on scande : "El pueblo, unido, jamas sera vencido". Face aux policiers, pas d'insultes, mais des tentatives pour les convaincre :"Vous aussi vous faites partie du peuple ! Vous aussi vous êtes pauvres !". Un homme lève un livre au dessus de la tête, comme d'autres lèveraient le poing : "Je suis un instituteur, les livres sont ma seule arme"...
Et je pense à Rome, ville ouverte, de Rossellini, parce qu'il est un des rares films dont l'esthétisme épouse jusqu'à la confusion la dimension politique. Quand Pina s'échappe de la foule pour suivre la camionette où les soldats emmènent Francesco, puis s'effondre sous les balles... il y a ici un réquisitoire contre la barbarie, le premier manifeste du néoréalisme, et une scène à la beauté abstraite. Quand les lignes du corps d'un être, le tracé de son mouvement deviennent sens et art. Cette course insensée de Pina vers la mort, le tracé de son corps qui s'arrache à l'impersonnalité de la foule, se lance dans l'espace avec foi et amour, et choit, désarticulé, en un tressautement de mort, cette courbe a la force abstraite d'une ligne de Kandinsky brisant l'harmonie colorée. Voilà ce que j'ai ressenti à Oaxaca : la beauté et la légitimité d'une indignation.
La dignité de ce peuple me fait penser, à l'instant où j'écris, à la révolte du peuple de Birmanie...
Pour ceux qui veulent s'informer sur l'histoire de la Commune de Oaxaca :
http://www.monde-diplomatique.fr/2006/11/VIGNA/14119
http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volte_d%27Oaxaca
lundi 10 septembre 2007
Portraits et anecdotes, I : De la notion de l'Happy Hour en terre mexicaine
Les faits se déroulèrent un certain début de soirée, à la fin du mois d'août. Nous venions d'échouer sur planète Zipolite, petite galaxie inconnue de tous sauf de nos chers lecteurs et des détenteurs du guide Lonely Planet sur le Mexique. Nous avions entrepris de découvrir le domaine par une petite balade le long de la mer, les pieds dans l'eau, et découvrions aux dépens de nos pantalons que l'on reste difficilement à Zipolite les pieds dans l'eau sans y mouiller le reste car la mer, en vorace insatiable, innonde vite nos genoux et nos cuisses à coup de vagues mal léchées. Cherchant alors un peu de réconfort, nous fûmes alertés par une pancarte qu'un bar à quelques mètres de nous affichait fièrement : "Happy Hour : 2 cocktails pour le prix d'1 : 35 pesos". 35 pesos, cela fait à peu près 2,3 euros, ce qui doit correspondre au cours de la gorgée de cocktail à Paris... Nous nous installâmes donc pour un petit aperitif improvisé (et bien mérité) et commandions 2 cocktails à l'aimable serveuse, un mojito et une margarita, ainsi qu'un peu de guacamole. C'est à cet instant qu'intervint le malentendu. En y repensant, je crois me souvenir que le visage de la serveuse exprima une seconde l'étonnement à l'énoncé de notre commande, mais elle refréna rapidement cette expression pour la remplacer par le sourire habituel de courtoisie. Quelques minutes plus tard, la toujours-si-aimable-serveuse revint non pas avec 2... mais avec 4 verres : 2 verres de mojito, et 2 verres de margarita ! Elle pensait donc que dans notre commande, nous n'avions pas pris en compte l'offre de l'Happy Hour et que nous attendions que le bar double nos verres... Sans doute fut-elle surprise de nous entendre commander 4 verres en une seule fois, puis se donna la consigne intérieure de ne pas juger des lubies alcooliques de ses clients ! Le malentendu vient donc d'une différence de point de vue, mais n'y aurait-il pas, à l'origine de cette incompréhension, une différence culturelle ? La question reste ouverte ...
Quoi qu'il en soit, acablés mais téméraires, nous acceptâmes la tâche que le destin nous avait assigné en terminant nos breuvages, ce qui donna l'occasion à mon Cher-et-Tendre de faire des photos et des films de ma personne en bien peu avantageuse posture , images qu'il s'empressa à son retour de montrer à la France entière. Après notre apéritif, nous eûmes l'etrange et soudaine envie de dormir, et rejoignimes notre cabana pour une "courte" sieste de laquelle nous sortîmes 3 heures plus tard, à 22h, hagards et affamés !
Quoi qu'il en soit, acablés mais téméraires, nous acceptâmes la tâche que le destin nous avait assigné en terminant nos breuvages, ce qui donna l'occasion à mon Cher-et-Tendre de faire des photos et des films de ma personne en bien peu avantageuse posture , images qu'il s'empressa à son retour de montrer à la France entière. Après notre apéritif, nous eûmes l'etrange et soudaine envie de dormir, et rejoignimes notre cabana pour une "courte" sieste de laquelle nous sortîmes 3 heures plus tard, à 22h, hagards et affamés !
samedi 8 septembre 2007
Destination Oaxaca, la ville : le voyage.
Nous nous retrouvâmes donc de nouveau à Pochutla, sur l'artère principale, dans l'espoir de trouver un bus qui nous mènerait vers l'étape suivante de notre voyage : la célèbre ville de Oaxaca. De Pochutla, deux routes mènent à la capitale de l'Etat : l'une, plus courte, file presque tout droit vers la ville, en empruntant les chemins tortueux et mal entretenus des montagnes environnantes, et cela prend 6 ou 7 h ; l'autre, en meilleur état, fait un immense détour par l'isthme de Tehuantepec, et prend 2 heures de plus. Il était 14h, et ne sachant pas où nous passerions la nuit a Oaxaca, nous décidâmes donc d'opter pour le chemin le plus court, afin de ne pas arriver trop tard dans la nuit. Jusqu'ici, l'unique concession au tourisme de luxe que nous avions faite avait été le voyage en bus 1e classe, et cela, soit parce que nous n'avions pas eu le choix (seule la compagnie ADO reliait Palenque à San Cristobal), soit parce que, voyageant de nuit, il nous fallait dormir dans le bus pour avoir l'énergie de découvrir le pays dès notre arrivée. Mais notre esprit aventurier avait été stimulé par ces 2 nuits passées à Zipolite dans des cabanes en bois, ces douches d'eau froide que l'on actionne en tirant sur une corde et ces piqûres d'insectes et autres morsures de puces. Nous étions d'accord : pour 6 ou 7 h de route, le voyage en 2e classe serait parfait. Nous pénétrions dans l'antre de la compagnie EV/OP quand un homme vint nous parler : "Vous cherchez un bus ? Où voulez-vous aller ?" Comme je lui donnai ma réponse, il m'assura qu'un bus partait pour Oaxaca dans 20 minutes, et il nous invita à prendre place pour patienter. C'était une large cour dans laquelle deux bus étaient garés. Au fond de la cour, un beau bus fringant portant fièrement le nom de Oaxaca en couvre-chef, et devant nous, un vieux tas de tôle, avec des noms de villages aux consonnances indigènes collés sur la vitre. La cour était bordée d'un préau sous lequel on trouvait un comptoir où un homme dormait, et 2 rangées de chaises devant une petite télévision. Nous nous installâmes donc sur deux de ses chaises. La télévision passait un documentaire sur Fidel Castro, vaguement élégiaque. Quelques hommes agés tournaient vers le poste un regard vide. Nous étions les seuls touristes ici ; je me sentais bien. Au documentaire, succéda une publicité très rebarbative prônant les qualités révolutionnaires du calcium de corail : calcio de Corail, de Okinawa, Japon, gratis ! Olivier rigolait, un peu nerveusement. Il se demandait quel bus allait nous servir de moyen de transport. Je lui assurai que c'était celui du fond, puisque notre destination y était inscrite. C'est alors que l'homme de tout à l'heure, un mexicain au marcel bedonnant, monta dans l'autre bus (le vieux tas de tôle), mis le contact et recula. Et nous découvrîmes, tout en haut, le nom de Oaxaca, jusqu'ici dissimulé par le rebord du préau. A bien y réfléchir, c'était du plus bel effet comique. Il aurait fallu voir nos têtes à cet instant. Surpris, et légèrement apeurés à l'idée de faire 7h de route dans un bus que nous pensions mûr pour la casse, nous nous demandions que faire, tandis que notre brave chauffeur criait "Oaxaca" en nous invitant à monter. Cela faisait une demie heure que nous attendions le moment du départ, et nous décidâmes donc de monter. Au moment de payer nos billets, je réalisai que le prix que l'on me demandait correspondait au tarif de 3e classe.
"Plus tard, on en rigolera." Cette phrase fut le leitmotiv de tous les instants de franche galère que nous vécûmes au Mexique (il n'en n'eut pas tant que ça). Pour moi, il n'y a pas de réelle expérience sans imprévu. Et rester ouvert à l'imprévu, c'est laisser le terrain libre à la galère. J'y étais préparée, prête à l'accepter, et Olivier était prêt à me suivre. Nous rigolâmes donc, d'un rire teinté de jaune, en entendant le grincement de l'animal quand il entrepenait un virage, son vombrissement quand il se risquait à une accélération, et surtout les gesticulations crissantes du levier de vitesse peinant à garder sa position... Mais le chauffeur était vaillant, domptant le levier, agrippant le volant de toutes ses forces, et sa femme, assise à ses côtés sur un petit tabouret matelassé juste en face de la porte grande ouverte de l'autobus, ne semblait pas un poil inquiète. Un virage un peu sec, le tabouret glissant sur le sol humide et elle passait par dessus bord... Mais Jesus-Christ veillait sur sa croix, accroché au dessus du poste de conduite. Ces gens n'étaient pas inconscients, je crois qu'ils étaient mus par une foi fervente doublée d'un certain fatalisme. Si un drame arrive, c'est qu'il doit arriver, voilà leur philosophie. Ils ne passent pas leur vie à imaginer des scénarios catastrophes comme nous le faisons tous la plupart du temps. Ils accueillent la vie avec confiance et le malheur avec résignation. Nous vécûmes donc quelques heures au rythme de ces gens, blottis dans leur bus comme nous le serions dans leur coeur. Une pluie battante s'acharna bientôt sur nous, et un T-shirt recouvrit le marcel. Nous étions perdus dans la montagne, entourés de forêt. Parfois nous dépassions quelques groupements de maisons formant village, ou quelques stands de tacos sur le bord de la route. Des indiens tirant des ânes. Le chauffeur s'arrêtait de temps en temps pour prendre un passager marchant seul sur une route venant de nulle part et menant je-ne-sais-où. Nous accueillâmes à cette occasion le plus beau bébé du monde, qu'une indienne portait sur son dos, emmitouflé dans ces tissus colorés que l'on voit dans les marchés artisanaux. Il portait un bonnet à pompon, et posait sur le monde d'immenses yeux noirs hallucinés, curieux et suppliants. Il me regarda quelques instants, je souris à la mère qui me répondit avec son visage de douceur. A mon grand regret, mes deux amis silencieux descendirent très vite du bus. Plus tard, nous dépassâmes deux voitures embourbées. Notre chauffeur s'arrêta, discuta par la porte ouverte avec l'homme à la voiture bloquée (c'était pourtant un gros 4X4 américain en bien meilleur état que notre boîte de conserve !). Ils cherchaient ensemble une solution. L'homme au 4x4 proposait que notre bus pousse sa voiture, pare-choc contre pare-choc, mais notre chauffeur était sceptique (je suis plutôt de son avis : notre bus n'aurait pas survécu à une telle pression). Il abandonna le 4x4, puis fut pris de regret et entreprit une marche arrière pour le rejoindre. Une nouvelle discussion commença. "Et si nous descendions tous du bus pour l'aider à pousser sa voiture ?", proposa timidement la femme au tabouret. Mais le chauffeur refusa (peut-être songeait-il à ces 2 européens faisant partie de l'équipée...). Longtemps après, sur la route, mari et femme discutèrent de ce qu'ils auraient pu entreprendre pour aider l'homme embourbé. Les mexicains ont un fort esprit d'entraide, et ils devaient se sentir fautifs de n'avoir rien pu faire.
Et c'est ainsi, simplement, que se passèrent les 7 heures de bus. Il y eut quelques pauses - un arrêt sur le bord de la route pour se ravitaller et se réchauffer autour d'une tasse de café ; deux arrêts dans des gares où des passagers nous abandonnèrent et d'autres nous rejoignirent. Nous fûmes les seuls, à l'exception évidente du conducteur et de son épouse, à suivre le trajet de Pochutla jusqu'à Oaxaca. Ce ne devait pas être courant que les gens fassent un si long périple dans ces conditions. Le pire, c'est que nous avons même réussi à y dormir ! Nous débarquâmes donc à la gare 2e classe de Oaxaca, à 21h30, trouvâmes un chauffeur de taxi radio-guidé qui nous mena à notre auberge. Là-bas, je retrouvai par hasard Anne, la volontaire belge que j'avais laissé à Uruapan (enfin, pas tout à fait par hasard : nous avons le même guide). Nous prîmes enfin un vrai repas, sur le Zocalo de Oaxaca, au son de la salsa, des mariachis, et de la flûte de pan : culture latine, vieille tradition mexicaine et tradition indienne, trois strates de la culture musicale mexicaine se succedèrent à nos oreilles comme à ma bouche les strates gastronomiques de mon sincronizada, sorte de sandwich multi-couche de tortillas au guacamole, au queso, et à la purée de frijoles. La richesse d'une culture ne se perçoit pas dans la synthèse, mais dans l'accumulation. Ne pas craindre la cacophonie est le plus sûr moyen d'accéder à l'harmonie. L'identité. Ce fut le leçon que je reçus d'un sandwich. Pour sûr, nous avions ajouté ce jour-là une strate importante à notre connaissance de la culture mexicaine.
"Plus tard, on en rigolera." Cette phrase fut le leitmotiv de tous les instants de franche galère que nous vécûmes au Mexique (il n'en n'eut pas tant que ça). Pour moi, il n'y a pas de réelle expérience sans imprévu. Et rester ouvert à l'imprévu, c'est laisser le terrain libre à la galère. J'y étais préparée, prête à l'accepter, et Olivier était prêt à me suivre. Nous rigolâmes donc, d'un rire teinté de jaune, en entendant le grincement de l'animal quand il entrepenait un virage, son vombrissement quand il se risquait à une accélération, et surtout les gesticulations crissantes du levier de vitesse peinant à garder sa position... Mais le chauffeur était vaillant, domptant le levier, agrippant le volant de toutes ses forces, et sa femme, assise à ses côtés sur un petit tabouret matelassé juste en face de la porte grande ouverte de l'autobus, ne semblait pas un poil inquiète. Un virage un peu sec, le tabouret glissant sur le sol humide et elle passait par dessus bord... Mais Jesus-Christ veillait sur sa croix, accroché au dessus du poste de conduite. Ces gens n'étaient pas inconscients, je crois qu'ils étaient mus par une foi fervente doublée d'un certain fatalisme. Si un drame arrive, c'est qu'il doit arriver, voilà leur philosophie. Ils ne passent pas leur vie à imaginer des scénarios catastrophes comme nous le faisons tous la plupart du temps. Ils accueillent la vie avec confiance et le malheur avec résignation. Nous vécûmes donc quelques heures au rythme de ces gens, blottis dans leur bus comme nous le serions dans leur coeur. Une pluie battante s'acharna bientôt sur nous, et un T-shirt recouvrit le marcel. Nous étions perdus dans la montagne, entourés de forêt. Parfois nous dépassions quelques groupements de maisons formant village, ou quelques stands de tacos sur le bord de la route. Des indiens tirant des ânes. Le chauffeur s'arrêtait de temps en temps pour prendre un passager marchant seul sur une route venant de nulle part et menant je-ne-sais-où. Nous accueillâmes à cette occasion le plus beau bébé du monde, qu'une indienne portait sur son dos, emmitouflé dans ces tissus colorés que l'on voit dans les marchés artisanaux. Il portait un bonnet à pompon, et posait sur le monde d'immenses yeux noirs hallucinés, curieux et suppliants. Il me regarda quelques instants, je souris à la mère qui me répondit avec son visage de douceur. A mon grand regret, mes deux amis silencieux descendirent très vite du bus. Plus tard, nous dépassâmes deux voitures embourbées. Notre chauffeur s'arrêta, discuta par la porte ouverte avec l'homme à la voiture bloquée (c'était pourtant un gros 4X4 américain en bien meilleur état que notre boîte de conserve !). Ils cherchaient ensemble une solution. L'homme au 4x4 proposait que notre bus pousse sa voiture, pare-choc contre pare-choc, mais notre chauffeur était sceptique (je suis plutôt de son avis : notre bus n'aurait pas survécu à une telle pression). Il abandonna le 4x4, puis fut pris de regret et entreprit une marche arrière pour le rejoindre. Une nouvelle discussion commença. "Et si nous descendions tous du bus pour l'aider à pousser sa voiture ?", proposa timidement la femme au tabouret. Mais le chauffeur refusa (peut-être songeait-il à ces 2 européens faisant partie de l'équipée...). Longtemps après, sur la route, mari et femme discutèrent de ce qu'ils auraient pu entreprendre pour aider l'homme embourbé. Les mexicains ont un fort esprit d'entraide, et ils devaient se sentir fautifs de n'avoir rien pu faire.
Et c'est ainsi, simplement, que se passèrent les 7 heures de bus. Il y eut quelques pauses - un arrêt sur le bord de la route pour se ravitaller et se réchauffer autour d'une tasse de café ; deux arrêts dans des gares où des passagers nous abandonnèrent et d'autres nous rejoignirent. Nous fûmes les seuls, à l'exception évidente du conducteur et de son épouse, à suivre le trajet de Pochutla jusqu'à Oaxaca. Ce ne devait pas être courant que les gens fassent un si long périple dans ces conditions. Le pire, c'est que nous avons même réussi à y dormir ! Nous débarquâmes donc à la gare 2e classe de Oaxaca, à 21h30, trouvâmes un chauffeur de taxi radio-guidé qui nous mena à notre auberge. Là-bas, je retrouvai par hasard Anne, la volontaire belge que j'avais laissé à Uruapan (enfin, pas tout à fait par hasard : nous avons le même guide). Nous prîmes enfin un vrai repas, sur le Zocalo de Oaxaca, au son de la salsa, des mariachis, et de la flûte de pan : culture latine, vieille tradition mexicaine et tradition indienne, trois strates de la culture musicale mexicaine se succedèrent à nos oreilles comme à ma bouche les strates gastronomiques de mon sincronizada, sorte de sandwich multi-couche de tortillas au guacamole, au queso, et à la purée de frijoles. La richesse d'une culture ne se perçoit pas dans la synthèse, mais dans l'accumulation. Ne pas craindre la cacophonie est le plus sûr moyen d'accéder à l'harmonie. L'identité. Ce fut le leçon que je reçus d'un sandwich. Pour sûr, nous avions ajouté ce jour-là une strate importante à notre connaissance de la culture mexicaine.
samedi 1 septembre 2007
Oaxaca, l'Etat, la côte
Nous quittions donc le Chiapas pour visiter un nouvel état du Mexique, l'Etat de Oaxaca ; et faisions connaissance avec le pays du mezcal d'une bien agréable manière, puisque ce fut au bord de l'océan Pacifique et à l'ombre des cocotiers. Soucieux de croiser le moins possible d'alter ego touristes, nous avions opté pour un petit village de pêcheurs agrémenté de cabanes en bois. Zipolite. Un nom qui ne semble appartenir a aucune langue, mais un nom qui sonne bien. Le simple fait de s'y rendre était une aventure. Notre bus nous laissa à Pochutla, fatigués de la nuit de 12 heures de bus. Puis il fallut faire front a la horde de chauffeurs de taxis qui nous attendaient pour nous proposer de nous mener au lieu de notre choix a un prix muy barato et chercher de manière active (malgré nos sacs de 15 kilos sur le dos) une camioneta qui nous conduirait a Zipolite pour un prix bien plus barato. Puis ce fut la découverte d'un nouveau paysage et de nouveaux visages à l'arrière d'un pick-up fonçant sur les routes sinueuses de la côte.
Zipolite est l'exemple type du lieu où le temps s'est arrêté. 200 âmes vivent là peut-être. La moitié de la population est Mexicaine. Ils tiennent des épiceries ou travaillent dans les restaurants. Leurs gestes sont longs et amples (je me souviens de ce mexicain gérant d'un petit restaurant qui balançait sa toute jeune fille dormant dans le hamac tout en regardant un télefilm...). L'autre moitié est constituée d'etrangers, mais pas seulement des touristes. Plus de la moitié des visages pâles vivent a Zipolite. Ils y coulent des jours simples et tranquiles, a l'écart du temps. Ils y passent l'eternelle journée de leur vie. Tous ont une histoire. On aimerait la connaitre, mais ils se taisent sur leur passé, bien qu'ils soient bavards pour bien d'autre choses. C'était le cas de notre hôte, Regula, une suisse de Zurich, gérante de Lo Cosmico, un ensemble de cabanes en bois situées sur un promontoire rocheux sur la plage. Regula n'a pas d'âge. Son visage est marqué par les années, mais elle se déplace et sourit avec la nonchalance d'une jeune fille. Souvent elle part dans de longues promenades au bord de la plage, avec ses chiens. Quand je lui ai demandé depuis combien de temps elle était là, elle s'est contenté de me répondre "depuis une éternité". Je n'ai pas insisté.
Nous nous sommes donc coulés dans la vie de Zipolite, avec délice et lenteur. La seule violence qui existait était celle de la mer. De grandes vagues aux forts courants. Il y eut quelques petits événements. Une tortue (encore !) qui vint pondre ses oeufs. Cela nous permit de faire la connaissance de Mauricio, un sauveteur, tout heureux et fier que son pays nous fasse vivre cette expérience. Et puis une matinée de plongée en tuba, menée par un couple germano-autrichiens, de jeunes amoureux au physique de série télè qui avaient chacun gravé "Für immer", Pour toujours, sur leur avant-bras. Nous vîmes de jolis poissons bariolés, et des tortues qui faisaient l'amour dans l'eau (savez-vous que cela peut durer jusqu'a 4 jours, provoquant la mort par épuisement d'un des partenaires ?). Nous bumes des Mojito et mangeames des poisson grillés. Et nous partimes comme nous étions venus, en camioneta, mais les visages qui dèfilerent sous nos yeux alors avaient un peu plus de sens pour nous. Un vieil homme monta dans le pick up avec nous, avec sa brouette. Il partait en ville la faire réparer, car la tolle était fendue. Ce fut notre dernière rencontre. Et Zipolite prit dans notre mémoire l'opacité et le mystère d'un rêve.
Zipolite est l'exemple type du lieu où le temps s'est arrêté. 200 âmes vivent là peut-être. La moitié de la population est Mexicaine. Ils tiennent des épiceries ou travaillent dans les restaurants. Leurs gestes sont longs et amples (je me souviens de ce mexicain gérant d'un petit restaurant qui balançait sa toute jeune fille dormant dans le hamac tout en regardant un télefilm...). L'autre moitié est constituée d'etrangers, mais pas seulement des touristes. Plus de la moitié des visages pâles vivent a Zipolite. Ils y coulent des jours simples et tranquiles, a l'écart du temps. Ils y passent l'eternelle journée de leur vie. Tous ont une histoire. On aimerait la connaitre, mais ils se taisent sur leur passé, bien qu'ils soient bavards pour bien d'autre choses. C'était le cas de notre hôte, Regula, une suisse de Zurich, gérante de Lo Cosmico, un ensemble de cabanes en bois situées sur un promontoire rocheux sur la plage. Regula n'a pas d'âge. Son visage est marqué par les années, mais elle se déplace et sourit avec la nonchalance d'une jeune fille. Souvent elle part dans de longues promenades au bord de la plage, avec ses chiens. Quand je lui ai demandé depuis combien de temps elle était là, elle s'est contenté de me répondre "depuis une éternité". Je n'ai pas insisté.
Nous nous sommes donc coulés dans la vie de Zipolite, avec délice et lenteur. La seule violence qui existait était celle de la mer. De grandes vagues aux forts courants. Il y eut quelques petits événements. Une tortue (encore !) qui vint pondre ses oeufs. Cela nous permit de faire la connaissance de Mauricio, un sauveteur, tout heureux et fier que son pays nous fasse vivre cette expérience. Et puis une matinée de plongée en tuba, menée par un couple germano-autrichiens, de jeunes amoureux au physique de série télè qui avaient chacun gravé "Für immer", Pour toujours, sur leur avant-bras. Nous vîmes de jolis poissons bariolés, et des tortues qui faisaient l'amour dans l'eau (savez-vous que cela peut durer jusqu'a 4 jours, provoquant la mort par épuisement d'un des partenaires ?). Nous bumes des Mojito et mangeames des poisson grillés. Et nous partimes comme nous étions venus, en camioneta, mais les visages qui dèfilerent sous nos yeux alors avaient un peu plus de sens pour nous. Un vieil homme monta dans le pick up avec nous, avec sa brouette. Il partait en ville la faire réparer, car la tolle était fendue. Ce fut notre dernière rencontre. Et Zipolite prit dans notre mémoire l'opacité et le mystère d'un rêve.
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