"Vive Mexico" et Concordia

Bonjour à tous !


Cela faisait longtemps que l'idée me trottait dans la tête. Jusqu'à présent je
n'avais su faire que du tourisme. Avec l'envie de bien faire, certainement :
ne rien dénaturer, ouvrir grand les yeux, respecter "l'autochtone"... j'étais
une touriste appliquée, comme nous le sommes tous de plus en plus. Mais la
rencontre, le vrai choc des esprits, est-il possible dans ces conditions ?

Nous voyageons avec l'Occident dans nos bagages. Nous avons la tête pleine d'attentes qui ne doivent pas être déçues. Notre temps libre est précieux, capitalisons-le ! Voilà le paradoxe du touriste occidental : il veut découvrir un ailleurs authentique, mais il impose inconsciemment le rythme par lequel cet "ailleurs" doit se dévoiler, c'est-à dire en un instant, car l'heure tourne, il y a tant de choses encore à voir, et puis bientôt la vie quotidienne le happera de nouveau alors, pressons...

S'il est nécessaire pour découvrir un pays de s'ouvrir au rapport intime que
son peuple entretient avec le temps, on ne se debarrasse pas de sa propre
conception temporelle comme d'un costard-cravate. Surtout quand l'argent s'en mêle : celui qui vide sa bourse est en droit de recevoir quelque chose en retour ; mais ce que nous cherchons à obtenir, l'humain et le temps, n'est pas une marchandise, et les rapports à l'autre s'en trouvent complexifiés. Si la
rencontre, parfois, survient, elle n'est que l'interruption momentanée d'un système dont nous sommes
prisonniers.

Voilà pourquoi j'ai fait appel à l'association Concordia,
qui organise des chantiers pour bénévoles dans le monde entier. Avec
Vive
Mexico
, son partenaire au Mexique, je vais travailler avec le centre pour la
jeunesse de Morelia
, dans le Michoacan. Ma seule attente ? Etre dépaysée...



jeudi 19 juillet 2007

7-8 juillet : Stage de préparation avec Concordia

Tous les bénévoles qui partaient pour la première fois en chantier dans les "pays du Sud" étaient tenus de participer à un week-end de préparation. Concordia l'exigeait : il était question de nous préparer à un éventuel choc culturel, aux contraintes de la vie en communauté, et de nous donner d'importantes informations à caractère sanitaire (pensez aux vaccins !!) ou administratif - bref, il s'agissait d'ouvrir les yeux aux derniers éberlués qui pensaient se la couler douce sous les Tropiques. Le mien eut lieu le 7 et 8 juillet...
Nous étions attendu à Versailles. Pas exactement au château, non : une fois la Royale Résidence passée, il fallait marcher un bon quart d'heure le long d'une route (battue par la pluie ce jour-là) pour parvenir au centre. J'arrivai avec une heure de retard (j'avais choisi le mauvais "RER-scargot" qui s'arrêtait à tous les patelins au nom grossier dont l'Ile-de-France est fertile) et trouvai 42 futurs bénévoles sympathisants et sympathiques.
J'avais manqué le petit déjeuner d'accueil ; je ne pus échapper aux jeux des prénoms. On me colla sur la poitrine une étiquette sur laquelle était inscrit mon prénom. Nous fûmes priés de nous asseoir sur les tables et les chaises qui formaient un grand cercle au milieu de la pièce. Puis le premier ordre, lapidaire, sonna : "Nous allons faire connaissance. Enlevez vos chaussures."
Je m'interrogeais sur les raisons de l'exercice : était-il important de connaître les pieds de son prochain pour juger de ses qualités humaines ? Quelle était la prochaine partie de notre corps qu'il allait falloir dévoiler ?? Je tenais à ma pudeur, et déjà, je sentais poindre en moi l'instinct de rébellion zapatiste...
Mais le suspens prit fin quand la seconde instruction fut énoncée : "Vous allez vous mettre debout sur les tables et les chaises et tenter de vous ranger par ordre alphabétique sans mettre un pied à terre." Par malheur, le coin des "A" fut choisi à l'autre bout du cercle, et il me fallut traverser la mer des corps. Si croiser un autre bénévole sur une table était relativement aisé, la chose devenait extrêmement délicate sur une chaise. Et il fallut nous accrocher les uns aux autres. Une Marion me servit de point d'appui, un Marc me sauva du précipice, je me rattrapai à une Fanny, offrit mon bras à Emilie, et enfin rejoignit Alice, mon prédécesseur et la fin de mon supplice.
Pour sûr, cet échange musclé de bras, cette friction des corps et cette recherche effrénée des prénoms fut une manière radicale -et efficace- de lier connaissance.
Je vous passerai sous silence la suite de nos péripéties, qui serait bien trop longue à conter. Mais nous pratiquâmes bien d'autres activités, ludiques et instructives. Un jeu de rôle me permis de prendre conscience de l'impasse à laquelle nous conduit parfois la différence culturelle, quand elle n'est pas abordée avec tolérance et ouverture.
Nous étions 2 groupes de 10 personnes, et chaque groupe formait une communauté définie par des codes sociaux précis (certains imposés par le jeu, d'autres créés par nous-mêmes).
D'un côté il y avait les Ingénieurs, qui possédaient le savoir de créer des ponts mais qui étaient incapables de se servir de leurs mains pour en construire.
De l'autre, les Dardiens (dont je faisais partie), pour qui il était un affront d'adresser la parole à quelqu'un sans le toucher, et qui devaient embrasser dans le cou toute personne à qui ils parlaient pour la première fois.
Bien sûr, aucun des deux groupes ne connaissait les codes et les besoins de l'autre, et les Ingénieurs devaient obtenir des Dardiens la réalisation de leur pont. Les réactions des uns et des autres nous éclaira sur les préjugés culturels qui nous habitent.
Par éthnocentrisme, les Ingénieurs se considérèrent comme appartenant à une "caste" supérieure : ils avaient un savoir particulier, et dans notre société où la connaissance intellectuelle est valorisée par rapport au savoir-faire, ils auraient fait partie de la classe dominante. Pourtant, leur handicap physique les rendait incapable de survivre dans un milieu hostile : ils étaient donc dépendants des Dardiens et, pour cette raison, ne pouvaient prétendre à la supériorité. Or, les Ingénieurs adoptèrent envers les Dardiens une attitude "colonialiste" : voyant que les Dardiens s'enfuyaient quand ils leur adressaient la parole (car ils le faisaient sans les toucher et donc ne respectaient pas leurs codes sociaux), ils ne cherchèrent pas à les comprendre et les encerclèrent. Nous autres Dardiens, qui ne connaissions ni leur handicap ni leur besoin, considerâmes leur attitude comme agressive. Nous étions dans l'impasse.
Ce jeu éclaire parfaitement la notion de "discontinuité culturelle" définie par Claude Lévi-Strauss dans Race et Histoire. Il est difficile de considérer qu'une autre société vit avec des critères culturels différents des siens. Longtemps, l'altérité des cultures a été niée : on se demanda au 18e siècle si les Indiens pouvaient avoir une âme, ou si les paysans n'étaient pas des bêtes... En général, on considère que n'a de valeur que ce la société qui nous porte reconnaît comme valeur. Ainsi, si les Etats-Unis nous paraissent les plus développés, c'est que nous choisissons comme critère le PIB par habitant. Or, il est possible de s'intéresser à un grand nombre d'autres critères (le langage, les techniques, l'art, l'organisation sociale, etc.) Et aujourd'hui, où la prédominance du modèle culturel occidental cause des problèmes écologiques pouvant mettre à mal dans le futur la survie de la communauté, il devient légitime de reconsidérer la supériorité présupposée de ce modèle. Car si toute construction sociale a pour but ultime la survie de l'espèce, un modèle social qui remet en cause cette survie ne peut être considéré comme supérieur - même par ceux qui le constituent.
Le week-end passa bien vite. Après m'être interrogé sur les différences culturelles, après avoir évoqué les différentes situations de conflit que l'on rencontre sur un chantier international, et après avoir mangé du couscous avec les mains, je suis rentrée chez moi, par la même route, toujours sous la pluie, avec sans doute dans la tête une conception moins idéaliste de l'expérience que j'allais vivre, et une vision plus précise de ce qu'allait contenir mon sac et ma trousse à pharmacie !

5 commentaires:

maimène a dit…

Bien vu! écrit avec élégance, j'aimerai pouvoir en faire autant!
Extra, le jugement "sur les ingénieurs" J'en ai un dans ma famille, fort heureusement supérieurement intelligent et, cela coule de source, trés compréhensif,il est totalement d'accord.
Excellente Annabelle, je te fais un e bise et j'espére te voir à ton retour. Je te souhaite un merveilleux voyage.
Mamie.

Olivier a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Olivier a dit…

Ma crevette est toujours toute en élégance...!! Gros bisous à Nana, sur qui je veillerai jusqu'à son embarquement dans le bon avion...

j'en profite pour saluer Maimène ;)

Bisous

Anonyme a dit…

Merveilleux programme cela me tenterait presque!!Prends soin de toi J'ai du mal à imaginer fiston dans l'aventure que tu lui prépares mais ....vous nous raconterez.Je te souhaite un bon séjour.Belle maman.

marie-claude a dit…

quel talent! je suis admirative et je sûre que tu feras une brillante carrière
cette expérience va être sûrement enrichissante sur de nombreux plans. Fais attention à ne pas voler l'âme des indiens (pas de photos de prés car ils pensent que tu voles leur âme)
bon séjour
Marie-Claude Fontaine