mardi 31 juillet 2007
Mexico, Tu piel vuelve a mi alma
Quelques jours à peine se sont écoulés depuis mon dernier message, et déjà tant de choses à raconter... Je ressens des sentiments mêlés. Je sais que le bonheur que j'éprouve vient en partie du fait que je me retrouve seule dans ce pays. J'aime ce sentiment de vulnérabilité qui me rend plus sensible à toutes choses. Mais je suis également frustrée de ne pouvoir faire partager mes découvertes (il faudrait un roman pour cela !)
Samedi je me suis baladée seule dans la ville de Morelia. Nous vivons dans un quartier résidentiel, à 30 minutes de la ville. Pour se rendre dans le centre historique de Morelia, il faut donc emprunter ce que les Mexicains nomment un "combi" : une petite camionette amémagée qui circule de quartiers en quartiers, sur le périph tout comme sur les routes cabossées de la campagne. Prendre un combi, c'est faire l'expérience de la proximité ; mais rien a voir avec l'impersonnalité du métro. Dans la camionette, les banquettes sont organisées en rond, si bien que tout le monde se fait face. Il y a l'habituel "Buenas dias" ou "Buenas tardes" que tout le monde s´échange, il y a les regards et les conversations, et l'eternelle cérémonie du cliquetis des pièces. En effet, quiconque qui veut voyager en combi doit payer au chauffeur la somme de 4,5 pesos. Les personnes qui sont au fond du combi ne peuvent pas lui donner l'argent directement , et les pièces se passent donc de mains en mains... Je me place toujours juste derrière le chauffeur, de facon à être l'interlocuteur obligé de tous les passagers qui veulent payer leur place. Et je regarde de tous mes yeux, et j ecoute de toutes mes oreilles, les paroles de ces vieux hommes si beaux et si dignes, avec leur chapeau blanc et les rides profondes de leur peau brûne, de ces femmes qui se tiennent et se signent quand elles entendent les cloches d'une église, de ces enfants qui nous observent comme des bêtes curieuses. Et la route cabossée, et le manque de place qui nous rapprochent et nous donnent l'occasion d'échanger le regard complice des compagnons de galère...
Bref, je me suis donc baladée seule à Morelia. Je me suis rendue dans une librairie pour acheter un livre d'Octavio Paz. Comme je n'avais pas de titre en tête, je demandai à l'homme de me ramener ce qu'il souhaitait. Il n´hésita pas une seconde : El Laberinto de La Soledad. Et j'appréciai cet instant où le hasard me mettait entre les mains un objet qui trouvait mille résonances en moi.
Morelia n est pas un labyrinthe, mais une ville construite par les espagnols au 16e siècle, patrimoine mondiale de l'UNESCO, avec son tracé rectiligne et ces dizaines d églises, ces palais, son aqueduc, ces milles places ombragées décorées de fontaines, ces maisons qui s'ouvrent sur de larges patio entourés d'arcades, et la cathédrale, d'un style herreresque revisité par le néoclassicisme. J'y ai donc erré des heures entières, et dieu sait comme cette ville se prête bien à l'errance. J'ai lu quelques pages d'Octavio Paz au Jardin de La Rosas, grignotté une tortas dans le monastère de San Antonio; j'ai visité le Musée d'art contemporain et le Musée de l'artisanat, etc. J'aime déambuler ainsi dans la ville, seule, avec l'impression de me dissoudre dans l'atmosphère, d'appartenir à cette terre et à ce peuple. Et ce qui est bête, c'est que j'ai parfois l'illusion que cela est vrai.
Et le soir, je retrouve les jeunes bénevoles de Vive Mexico dans notre petite maison du quartier résidentiel. La famille s'est agrandie, c'est l'auberge espagnole plus que jamais ! Maintenant nous sommes Francais, Allemands, Israëliens, Canadiens, Mexicains, Coréens et Danois, et nous passons les soirées à parler, à jouer et à danser (Kim m´a donné mon premier cours de salsa !), nous allons au théàtre ("Tu piel vuelve a mi boca", une pièce mexicaine expérimentale avec des gens nus) et nous goûtons la gastronomie du coin...
Tant de choses encore à raconter. Dimanche, nous sommes allés à Patzcuaro, une ville de pèlerinage, et nous avons découvert ce qu'était un vrai marché au Mexique.
Tant de choses à raconter encore, mais surtout tant de choses à vivre. J'arrête donc ici mon récit, pour l'instant, car le Mexique m'attend.
Samedi je me suis baladée seule dans la ville de Morelia. Nous vivons dans un quartier résidentiel, à 30 minutes de la ville. Pour se rendre dans le centre historique de Morelia, il faut donc emprunter ce que les Mexicains nomment un "combi" : une petite camionette amémagée qui circule de quartiers en quartiers, sur le périph tout comme sur les routes cabossées de la campagne. Prendre un combi, c'est faire l'expérience de la proximité ; mais rien a voir avec l'impersonnalité du métro. Dans la camionette, les banquettes sont organisées en rond, si bien que tout le monde se fait face. Il y a l'habituel "Buenas dias" ou "Buenas tardes" que tout le monde s´échange, il y a les regards et les conversations, et l'eternelle cérémonie du cliquetis des pièces. En effet, quiconque qui veut voyager en combi doit payer au chauffeur la somme de 4,5 pesos. Les personnes qui sont au fond du combi ne peuvent pas lui donner l'argent directement , et les pièces se passent donc de mains en mains... Je me place toujours juste derrière le chauffeur, de facon à être l'interlocuteur obligé de tous les passagers qui veulent payer leur place. Et je regarde de tous mes yeux, et j ecoute de toutes mes oreilles, les paroles de ces vieux hommes si beaux et si dignes, avec leur chapeau blanc et les rides profondes de leur peau brûne, de ces femmes qui se tiennent et se signent quand elles entendent les cloches d'une église, de ces enfants qui nous observent comme des bêtes curieuses. Et la route cabossée, et le manque de place qui nous rapprochent et nous donnent l'occasion d'échanger le regard complice des compagnons de galère...
Bref, je me suis donc baladée seule à Morelia. Je me suis rendue dans une librairie pour acheter un livre d'Octavio Paz. Comme je n'avais pas de titre en tête, je demandai à l'homme de me ramener ce qu'il souhaitait. Il n´hésita pas une seconde : El Laberinto de La Soledad. Et j'appréciai cet instant où le hasard me mettait entre les mains un objet qui trouvait mille résonances en moi.
Morelia n est pas un labyrinthe, mais une ville construite par les espagnols au 16e siècle, patrimoine mondiale de l'UNESCO, avec son tracé rectiligne et ces dizaines d églises, ces palais, son aqueduc, ces milles places ombragées décorées de fontaines, ces maisons qui s'ouvrent sur de larges patio entourés d'arcades, et la cathédrale, d'un style herreresque revisité par le néoclassicisme. J'y ai donc erré des heures entières, et dieu sait comme cette ville se prête bien à l'errance. J'ai lu quelques pages d'Octavio Paz au Jardin de La Rosas, grignotté une tortas dans le monastère de San Antonio; j'ai visité le Musée d'art contemporain et le Musée de l'artisanat, etc. J'aime déambuler ainsi dans la ville, seule, avec l'impression de me dissoudre dans l'atmosphère, d'appartenir à cette terre et à ce peuple. Et ce qui est bête, c'est que j'ai parfois l'illusion que cela est vrai.
Et le soir, je retrouve les jeunes bénevoles de Vive Mexico dans notre petite maison du quartier résidentiel. La famille s'est agrandie, c'est l'auberge espagnole plus que jamais ! Maintenant nous sommes Francais, Allemands, Israëliens, Canadiens, Mexicains, Coréens et Danois, et nous passons les soirées à parler, à jouer et à danser (Kim m´a donné mon premier cours de salsa !), nous allons au théàtre ("Tu piel vuelve a mi boca", une pièce mexicaine expérimentale avec des gens nus) et nous goûtons la gastronomie du coin...
Tant de choses encore à raconter. Dimanche, nous sommes allés à Patzcuaro, une ville de pèlerinage, et nous avons découvert ce qu'était un vrai marché au Mexique.
Tant de choses à raconter encore, mais surtout tant de choses à vivre. J'arrête donc ici mon récit, pour l'instant, car le Mexique m'attend.
jeudi 26 juillet 2007
Mi primer dia...
A 18h30, heure locale, je posai les pieds sur la terre mexicaine. Etrangement, je ne me sentais pas du tout anxieuse, peut être trop fatiguée pour ce genre d'émotion (il était en effet 1h30 en France...) Il fallut passer la police (l homme regarda à peine mon formulaire et me fit un clin d oeil pour me signifier que je pouvais passer), chercher les sacs (je retrouvai le mien mais sans le matelas de camping accroché au sommet...) puis se confronter à une douane finalement très conciliante. Un "taxi autorizado" me conduisit à l'auberge de jeunesse. Là bas, les gens étaient de toutes les couleurs et parlaient toutes les langues. Mon accent me trahit vite :
" Hablas frances ?
Si, soy francesa"
Et le jeune homme, espagnol, me confia que les seuls mots qu il connaissait en francais etaient "pomme de terre", "la pluie tombe", et "papillon"... Papillon, m'apprit il, se dit "maraposa" en espagnol, et je pensai alors au petit garcon dont je m'étais occupé il y a quelques jours, et qui criait "Pipiya" quand il en voyait un...
Plus tard, dans la chambre, je choisis un lit en hauteur, juste en face de la fenêtre. Vu d'ici, Mexico me semblait moin effrayant. Et je m'endormis ainsi, dominant la ville, bercée par la rumeur de mille langues.
Le lendemain commenca mon premier jour au Mexique. Quand on voyage seul, rien n est acquis, mais tout devient plus accessible. Ne plus avoir de repères, voilà la clé pour s'en créer de nouveaux. L`être humaim est ainsi : il a besoin de stimulations pour s'arracher à son confort routinier et s'ouvrir à l'inhabituel, et il n y a pas meilleures sollicitations que la nécessité. Je me fis donc violence (l'expression est forte, ce ne fut pas si terrible,) pour m'installer a la table d'inconnus au petit déjeuner. Une suedoise, qui rentrait d'un periple en solitaire au Guatemala, m assura que le metro de Mexico etait un endroit plutot sûr le jour, et je decidai donc de me rendre a la gare routiere en metro. Je me sentais bien, comme en harmonie avec tout ce qui m entourait. En face de moi, une mere mexicaine et sa fille me regardaient en souriant. Elles etaient trait pour trait semblables à ce que les azteques étaient dans mon imaginaire : la peau cuivrée, les yeux noirs en amande, la machoire carrée...Un visage serein et hieratique. Je les trouvais belles comme des statues.
Le periple en bus vers Morelia fut le sommet de la journee. Assise à còte d un vieu mexicain somnolant, je ne ratais rien du spectacle. Il y eut Mexico et ses bidonvilles sur les collines : des cabanes faites de bric et de broc, le plus souvent grises mais parfois vertes, ocres, bleues...Un magnifique chat siamois dort sur un balcon. Un couple s embrasse fievreusement. Je retiens mes larmes. Le Mexique est pauvre, mais la pauvrete se pare de couleurs, de musique et de rire, ce qui la rend plus acceptable à nos yeux ; tout est beau et triste a la fois ; tout est poesie et melancolie . Le chauffeur nous passe un film : c'est une comedie à l'eau de rose avec Jennifer Lopez et Jane Fonda. Nous arrivons dans le Michoacan, qui est tout comme je l'imaginais. Des montagnes partout entre lesquelles d'étroites plaines offrent leur verdure à un habitat parsemé, des arbres et des cactus, des chevres, des vaches et des chevaux paissant sur le bord de la route. Et puis il y a ces lacs, merveilleux, embrumés, dans lesquels les montagnes et les nuages se refletent, si bien qu'on finit par se demander quelle face est la plus réelle...
Et puis j´ai fini par arriver au bureau de Vive Mexico, a Morelia.
Nous sommes 5 à suivre les cours : Karine, la quebecoise, qui est professeur de theâtre à Montreal (car au Quebec on enseigne le theatre a l'ecole), la Coréene Kim (Savez vous que les Coréens ont 1 an à leur naissance, et que c'est au nouvel an qu ils ont un an de plus ?), le danois Sorin, et Mauve, une francaise. Nous logeons dans une maison à la campagne, et nous sommes l'attraction du coin ! Nous avons vite fait connaissance, tous en anglais. Sorin se moque gentiment de mon accent francais quand je dis "vegetables".
vendredi 20 juillet 2007
Du 24/07 au 03/09 : Mon parcours
41 jours pour découvrir un pays, cela paraîtra suffisant aux yeux de certains. En réalité, au Mexique, si grand et si divers, c'est un vrai casse-tête. On ne peut pas tout faire, il faut choisir - et donc, aussi, renoncer. Alors, j'ai épluché mon guide touristique comme on épluche un oignon : retirer une à une les couches superficielles, malgré les yeux qui piquent, et atteindre le coeur, venir à l'essentiel... Le coeur, ou plutôt les mille coeurs battants de cette immense terre. Finalement, je crois qu'il n'y a pas de méthode pour visiter le Mexique, si ce n'est se perdre... Voici donc une ébauche de mon parcours, que je ne respecterai sûrement pas. Pourquoi s'enquiquiner à se construire un programme si ce n'est pour le plaisir de le transgresser ?
- le chantier à Morelia
- J'arrive le 24 juillet à Mexico, à 18h25. Je passerai donc la nuit dans cette grande capitale, en auberge de jeunesse.
- Le lendemain, départ en bus pour ce qui sera ma ville de résidence pendant près d'un mois : Morelia. Cela prendra 4h de trajet. Je me rendrai au siège de l'association Vive Mexico, qui me logera et me donnera des cours d'espagnol pendant une semaine. Ensuite, c'est le chantier à proprement parler qui commence. Il y a un certain flou (artistique ?) sur ce que sera mon rôlé là-bas. J'ai échangé quelques mails avec Israël Tena, le directeur de l'IJUM (Institud para la Juventud Moreliana) où je vais travailler. Morelia est une grande ville, et elle absorde peu à peu l'espace rural environnant. La population indienne du Michoacan (les Purépechas : descendants des Tarasques, la civilisation préhispannique la plus développée de l'ouest du Mexique, qui repoussait constamment la domination aztèque) se trouve ainsi intégrée peu à peu dans un mode de vie urbain qu'elle connaît parfois très mal. L'IJUM et les volontaires comme moi sommes là pour faciliter l'intégration de ces peuples, par l'entremise de leurs jeunes... Concrètement, je crois que nous ferons des activités culturelles, mais aussi des actions écologiques (enseigner aux enfants à fabriquer du compost, planter des arbres), des jeux... Le choc culturel sera pour moi multiple : je vais participer à un chantier dont les membres viennent du monde entier, pour travailler avec des mexicains et des indiens. Vais-je réussir à me faire comprendre et apprécier dans cette mosaïque bigarrée ?
- Le Tourisme
jeudi 19 juillet 2007
7-8 juillet : Stage de préparation avec Concordia
Tous les bénévoles qui partaient pour la première fois en chantier dans les "pays du Sud" étaient tenus de participer à un week-end de préparation. Concordia l'exigeait : il était question de nous préparer à un éventuel choc culturel, aux contraintes de la vie en communauté, et de nous donner d'importantes informations à caractère sanitaire (pensez aux vaccins !!) ou administratif - bref, il s'agissait d'ouvrir les yeux aux derniers éberlués qui pensaient se la couler douce sous les Tropiques. Le mien eut lieu le 7 et 8 juillet...
Nous étions attendu à Versailles. Pas exactement au château, non : une fois la Royale Résidence passée, il fallait marcher un bon quart d'heure le long d'une route (battue par la pluie ce jour-là) pour parvenir au centre. J'arrivai avec une heure de retard (j'avais choisi le mauvais "RER-scargot" qui s'arrêtait à tous les patelins au nom grossier dont l'Ile-de-France est fertile) et trouvai 42 futurs bénévoles sympathisants et sympathiques.
J'avais manqué le petit déjeuner d'accueil ; je ne pus échapper aux jeux des prénoms. On me colla sur la poitrine une étiquette sur laquelle était inscrit mon prénom. Nous fûmes priés de nous asseoir sur les tables et les chaises qui formaient un grand cercle au milieu de la pièce. Puis le premier ordre, lapidaire, sonna : "Nous allons faire connaissance. Enlevez vos chaussures."
Je m'interrogeais sur les raisons de l'exercice : était-il important de connaître les pieds de son prochain pour juger de ses qualités humaines ? Quelle était la prochaine partie de notre corps qu'il allait falloir dévoiler ?? Je tenais à ma pudeur, et déjà, je sentais poindre en moi l'instinct de rébellion zapatiste...
Mais le suspens prit fin quand la seconde instruction fut énoncée : "Vous allez vous mettre debout sur les tables et les chaises et tenter de vous ranger par ordre alphabétique sans mettre un pied à terre." Par malheur, le coin des "A" fut choisi à l'autre bout du cercle, et il me fallut traverser la mer des corps. Si croiser un autre bénévole sur une table était relativement aisé, la chose devenait extrêmement délicate sur une chaise. Et il fallut nous accrocher les uns aux autres. Une Marion me servit de point d'appui, un Marc me sauva du précipice, je me rattrapai à une Fanny, offrit mon bras à Emilie, et enfin rejoignit Alice, mon prédécesseur et la fin de mon supplice.
Pour sûr, cet échange musclé de bras, cette friction des corps et cette recherche effrénée des prénoms fut une manière radicale -et efficace- de lier connaissance.
Je vous passerai sous silence la suite de nos péripéties, qui serait bien trop longue à conter. Mais nous pratiquâmes bien d'autres activités, ludiques et instructives. Un jeu de rôle me permis de prendre conscience de l'impasse à laquelle nous conduit parfois la différence culturelle, quand elle n'est pas abordée avec tolérance et ouverture.
Nous étions 2 groupes de 10 personnes, et chaque groupe formait une communauté définie par des codes sociaux précis (certains imposés par le jeu, d'autres créés par nous-mêmes).
D'un côté il y avait les Ingénieurs, qui possédaient le savoir de créer des ponts mais qui étaient incapables de se servir de leurs mains pour en construire.
De l'autre, les Dardiens (dont je faisais partie), pour qui il était un affront d'adresser la parole à quelqu'un sans le toucher, et qui devaient embrasser dans le cou toute personne à qui ils parlaient pour la première fois.
Bien sûr, aucun des deux groupes ne connaissait les codes et les besoins de l'autre, et les Ingénieurs devaient obtenir des Dardiens la réalisation de leur pont. Les réactions des uns et des autres nous éclaira sur les préjugés culturels qui nous habitent.
Par éthnocentrisme, les Ingénieurs se considérèrent comme appartenant à une "caste" supérieure : ils avaient un savoir particulier, et dans notre société où la connaissance intellectuelle est valorisée par rapport au savoir-faire, ils auraient fait partie de la classe dominante. Pourtant, leur handicap physique les rendait incapable de survivre dans un milieu hostile : ils étaient donc dépendants des Dardiens et, pour cette raison, ne pouvaient prétendre à la supériorité. Or, les Ingénieurs adoptèrent envers les Dardiens une attitude "colonialiste" : voyant que les Dardiens s'enfuyaient quand ils leur adressaient la parole (car ils le faisaient sans les toucher et donc ne respectaient pas leurs codes sociaux), ils ne cherchèrent pas à les comprendre et les encerclèrent. Nous autres Dardiens, qui ne connaissions ni leur handicap ni leur besoin, considerâmes leur attitude comme agressive. Nous étions dans l'impasse.
Ce jeu éclaire parfaitement la notion de "discontinuité culturelle" définie par Claude Lévi-Strauss dans Race et Histoire. Il est difficile de considérer qu'une autre société vit avec des critères culturels différents des siens. Longtemps, l'altérité des cultures a été niée : on se demanda au 18e siècle si les Indiens pouvaient avoir une âme, ou si les paysans n'étaient pas des bêtes... En général, on considère que n'a de valeur que ce la société qui nous porte reconnaît comme valeur. Ainsi, si les Etats-Unis nous paraissent les plus développés, c'est que nous choisissons comme critère le PIB par habitant. Or, il est possible de s'intéresser à un grand nombre d'autres critères (le langage, les techniques, l'art, l'organisation sociale, etc.) Et aujourd'hui, où la prédominance du modèle culturel occidental cause des problèmes écologiques pouvant mettre à mal dans le futur la survie de la communauté, il devient légitime de reconsidérer la supériorité présupposée de ce modèle. Car si toute construction sociale a pour but ultime la survie de l'espèce, un modèle social qui remet en cause cette survie ne peut être considéré comme supérieur - même par ceux qui le constituent.
Le week-end passa bien vite. Après m'être interrogé sur les différences culturelles, après avoir évoqué les différentes situations de conflit que l'on rencontre sur un chantier international, et après avoir mangé du couscous avec les mains, je suis rentrée chez moi, par la même route, toujours sous la pluie, avec sans doute dans la tête une conception moins idéaliste de l'expérience que j'allais vivre, et une vision plus précise de ce qu'allait contenir mon sac et ma trousse à pharmacie !
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